lundi 2 mars 2009

La Non-dualité

Le 17 mars 1978, comme j’avais fait deux grandes tartes aux pommes en prévision d’une visite de deux abbés cisterciens qui n’étaient pas venus, vers le soir un groupe arrive à la grotte. Je reconnus tout de suite le principal personnage pour l’avoir vu en hors-texte sur une brochure de spiritualité hindoue. C’était Chandra Swami, un sage et ermite de l’Himalaya. Il passe six mois de l’année dans sa solitude du Cachemire et les six autres à faire le tour du monde aux frais de ses disciples. Présentement, il venait de Suisse et se rendait en Grande-Bretagne, ayant pour chauffeur un professeur de yoga d’Aix qui me connaissait, et une jeune fille venue tout exprès du Canada pour rencontrer le Swami.


Je m’empressai de lui céder mon siège de luxe, mais il ne s’y casa qu’après beaucoup de protestations. Voyant qu’il s’était déchaussé, je donnai ordre à son disciple d’aller chercher ses souliers dehors et de les lui remettre aux pieds. Après avoir parlé de tout et de rien, Chandra Swami me demanda par ses interprètes s’il pouvait me poser une question. J’acquiesçai, gêné comme un élève de sixième devant le jury du certificat d’études et j’essayai de gagner du temps en proposant : « J’ai fait deux grosses tartes aux pommes pour deux abbés qui ne sont pas venus... Puis-je en offrir à Swamiji ? » Le professeur de yoga ne se donna pas la peine de traduire et répondit lui-même : « Il adore ça ! »


Pendant qu’on se partageait la tarte, Chandra Swami, se recueillant, revint à sa question : « According to Christian spirituality... » Je me dis : « Ça y est... Le voilà parti dans des dissertations dogmatiques. » « D’après le christianisme, dit-il, Dieu est le Créateur de l’Univers et il est tout amour et béatitude infinis. Comment conciliez-vous cela avec le sentiment de la souffrance et de la misère qu’on voit dans le monde ? »


En attendant que le Saint-Esprit arrive, je lui dis : « La réponse que Swamiji trouve dans son cœur hindou doit être la même que peut trouver un cœur chrétien.

Quelle est cette réponse ?

Quand on voit un enfant sortir d’une maison en poussant des cris horribles, parce qu’il a reçu une raclée, la première attitude juste est de se réjouir, car c’est la preuve qu’il n’est pas orphelin. » Le traducteur éclata de rire et traduisit.


Le sage de l’Himalaya joignit les mains et répondit : « C’est une bonne réponse pour quelqu’un qui a la foi. » Je pensai qu’il attendait une autre réponse pour ceux qui ne l’ont pas et je continuai : « Ceux qui sont dans l’ignorance sont comme des gens endormis et Dieu est le chirurgien qui profite de ce sommeil pour faire des opérations. Ce qui est important, c’est de ne pas se mettre à l’abri de son intervention. » J’étais content de la réponse que je venais juste de trouver dans le manuscrit autobiographique de sainte Thérèse. Le sage avait l’air satisfait, mais il ne m’a donné que 18 sur 20.


« En vérité, dit-il, cette question ne peut être posée qu’à Dieu lui-même. » Le professeur dit : « Mais pour poser une pareille question à Dieu, il faut être en initimité avec Lui. » Et moi, je m’empressai d’ajouter : « Quand on est en intimité avec Dieu, on n’a plus de question à poser. » Le moine hindou, advaïtin impénitent, voulut avoir le dernier mot : « Il n’y a même plus personne pour poser la question... »


© Frère Antoine, « Une Bouffée d’ermite ».

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