vendredi 27 février 2009

Le Dérangeur

C'est normal
Qu’ils se sentent mal

En face d’un anormal

Spirituellement à poil.

Lorsque que j’étais au monastère, je dérangeais. On se souvient du saint Benoît aux pieds de Bouddha que j’avais sculpté et que je découvris quelque temps plus tard derrière un radiateur, plein de toiles d’araignées.


En Inde, alors que je faisais une pieuse retraite très chrétienne dans un monastère bénédictin « quatre étoiles » le prieur, un Belge, m’annnonça un jour sa joie de préparer au baptême un moine hindou. Je m’écriai : « Comment ! Si c’est un moine authentique, il est surbaptisé par son initiation et son renoncement monastique !... »


À partir de ce jour-là, je me suis senti dérangeant, ni plus ni moins, d’ailleurs, que saint Paul quand il reprochait à ses collègues de continuer la circoncision.


Au bout de dix-sept ans, j’ai demandé à un petit frère qui avait séjourné à Pondichéry si les sœurs de Cluny qu’il avait rencontrées s’étaient souvenues de moi. Elles lui avaient répondu : « Oh, alors celui-là, qu’est-ce qu’il nous a dérangées !... »


À l’aéroport de Rome, lors de mon troisième départ pour l’Inde, avec la dame que j’accompagnais, nous fîmes la rencontre de trois religieuses qui nous invitèrent à les accompagner en ville dans leur voiture, car nous ne repartions que le lendemain et nous ne savions pas où passer la nuit. Tout le long du chemin, je ne leur dis que des choses désagréables, en réponse à leur conversation : que si elles n’avaient plus de vocation, Dieu se passerait aussi bien d’elles qu’il s’en passait avant ; que si j’allais en Inde, ce n’était pas, comme elles le supposaient, pour secourir les malheureux et déshérités mais, au contraire, pour apprendre d’eux comment bien prendre l’infortune et le manque; que leur attitude gémissante sur la démission apparente du clergé n’avait rien de spirituel ni de divin. Bref, sur ce, on s’attendait à ce que les religieuses nous déposent devant le premier hôtel venu. Mais pas du tout : ces sœurs aimaient être dérangées. Elles nous emmenèrent dans leur maison, nous donnèrent chambre et couvert, messe et mille petits soins trop longs à raconter.



Et au vrai, pourquoi suis-je venu vivre dans une grotte, loin de la civilisation ? Parce que je dérangeais tout le monde. Hélas ! Hélas ! Tous les jours il vient des gens pour que je les dérange !


© Frère Antoine, « Une Bouffée d’ermite ».

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