samedi 11 avril 2009

DIRECTION LA PRISON

Sans avertir qui que ce soit, selon mon habitude de franc-tireur, je pris un jour le train pour Marseille. Arrivé dans la cité phocéenne, il me restait à trouver un bateau. Et là, rien ne se passa comme je l'avais imaginé.


La guerre étant malheureusement toujours d'actualité, la police avait pour mission de garder un œil sur tous les passagers désirant embarquer pour l'Algérie. Sentant le vent tourner, nombre de français pro-allemands, comme nombre de déserteurs, étaient en effet prêts à payer le voyage qui leur éviterait la prison ou, pire, la condamnation à mort. C'est aussi bêtement que cela que je me fis épingler. Sur la demande d'un officier, je présentai mes papiers militaires. L'orthographe étant, comme on le sait, la science des ânes, c'est un âne, mais un âne à la vue perçante, qui me coinça. Mes papiers mentionnaient mon appartenance à la base aérienne d'Angers. Si ce corps d'armée ne manquait pas d'air, il manquait un "n" à "aérienne". L'officier, persuadé que mes papiers étaient des faux, ne fut pas long à prendre sa décision. Comme au Monopoly, j'avais tiré la mauvaise carte, et, sans repasser par la case départ, je me retrouvai en prison pour "présomption de désertion". Une simple faute de frappe avait anéanti mes projets de voyage.


Je passai dix-sept jours à l'ombre. Je fis le voyage de retour menottes aux poignets et entre deux gendarmes, jusqu'à ma base. J'y appris que les soldats de ma classe avaient été rappelés, comme il nous avait été mentionné lors de la conscription. J'avais évidemment depuis longtemps oublié ce petit détail. Je retrouvai donc ma caserne, mais cette fois en tant que prisonnier, et plus léger qu'au départ, car tout mon argent avait disparu : mon séjour dans la prison marseillaise avait été rentable pour l'officier qui m'y avait envoyé.


Je fus placé à la caserne militaire d'Angers. Je vécus là quelques moments assez drôles. Quoique sous la surveillance de militaires, on y était assez libre. À tel point que certains engagés ou appelés ne se privaient pas de faire le mur pendant la nuit. Ils rentraient au petit matin par le soupirail de la prison. Des évasions à l'envers ! Je n'ai personnellement jamais participé à ces joyeuses soirées, car j'avais conscience qu'il ne fallait pas pousser trop loin le bouchon. La présomption de désertion dont j'étais inculpé pesait quand même très lourd dans mon casier.


Durant ces quelques mois, je rencontrai des personnages hors du commun. L'un d'eux était gendarme, voleur de vélos à ses heures, et avait des dons de voyance. Il lisait les lignes de la main. Curieux, comme tout le monde, je lui présentai la mienne, et il s'écria :

― Toi, tu as l'étoile de la célébrité !

J'éclatai de rire, quand un homme fit son entrée. En croisant son regard, le gendarme nous dit :

― Celui-là est un tueur.

Peu de temps après, nous avions la confirmation que cet homme avait effectivement commis un crime. Comble de l'ironie, c'était un breton qui s'appelait Lecouèfet. Il y a des choses qui ne s'inventent pas...


Je fus ensuite transféré dans une autre prison où je restai six mois. La vie s'écoulait, tranquille. L'un des cuisiniers m'avait à la bonne, et j'avais souvent droit à des repas améliorés. Quant à l'adjudant de quartier, il me faisait tellement confiance qu'il cachait ses bouteilles sous mon lit. Personne ne savait que j'étais moine. J'étais considéré comme simple citoyen. Alors que j'avais été jugé dangereux au début de mon emprisonnement, ma constante bonne humeur m'avait vite valu une excellente réputation.


Sur le terrain où nous étions, se trouvaient de petits avions militaires endommagés. À fouiller dans les débris, je dénichai avec quelques copains un objet qui avait dû être une radio. Entièrement démontée, puis remontée, elle donnait le change, bien qu'aucun son ne puisse en sortir. Je faisais rire la compagnie quand, très professionnel, j'annonçais :

― Et maintenant, tout le monde à genoux ! Le pape va vous donner sa bénédiction !


Je quittai à regret cet endroit qui tenait plus de la colonie de vacances que de la prison, pour me présenter devant le tribunal militaire d'Orléans. En attendant mon jugement, je rejoignis un quatrième établissement pénitentiaire. Et là, ça ne rigolait plus du tout. La prison militaire ayant été bombardée, je me retrouvai dans une prison civile, avec des condamnés à mort pour compagnons de cellule. Certains jours, dans le froid du petit matin, on entendait de la cour le son des fusils. Nous étions en 1944, et un certain nombre de français ayant frayé avec les allemands étaient passés par les armes. Je passai trois mois dans cet environnement sympathique pour enfin comparaître devant le tribunal. Quelques temps auparavant, j'avais connu en prison un jeune garçon qui s'était fait coincer pour le vol d'un sac de farine. Il s'était extasié sur la médaille de Saint-Benoît que je portais autour du cou. Je la lui avais donnée.


Alors que mon jeune voleur avait un avocat pour le défendre, moi je n'en avais pas. Et pour cause : je n'avais prévenu personne de mes mésaventures. Ni le supérieur du monastère ni ma famille ne savaient que, depuis bientôt un an, je voyageais de prison en prison. Si l'on devait quelque peu s'étonner de la rareté de mes lettres, personne ne s'en inquiéta cependant outre mesure. Comme les quelques nouvelles que j'envoyais portaient le tampon de l'armée, tout le monde me croyait à la caserne ! L'avocat chargé de défendre le jeune homme à la médaille lui en demanda la provenance.

― C'est un copain en prison qui me l'a donnée, répondit-il.

Apprenant dans le même temps que je n'avais pas de défenseur, il me proposa gratuitement ses services ― que j'acceptai évidemment. Cet avocat généreux fut un martyr de la charité : il fut assassiné par un délinquant qu'il avait sorti de prison et hébergé chez lui...


Sans vouloir minimiser le talent de cet homme qui m'avait tendu la main, je pense que c'est surtout l'absence de preuves qui me fit acquitter.

― Enfin, s'écria l'avocat général, il y a désertion ou il n'y a pas désertion, il faudrait savoir!

Car si la désertion était lourdement pénalisée, surtout en temps de guerre, rien n'était prévu par la loi pour une simple présomption de désertion. Bref, je fus acquitté. J'eus même droit à des excuses, histoire de me faire oublier le temps passé en prison. Je récupérai aussi ma solde, qui m'avait été confisquée pendant tout ce temps. Il me restait encore un mois à tirer, que je passais dans un bureau à somnoler agréablement. Puis on me renvoya à Chartres rejoindre mon corps militaire. Et je refis mon baluchon.


© Frère Antoine, « Le Paradis, c’est ici ! »

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