samedi 11 avril 2009

SILENCE ! L'HABIT FAIT LE MOINE [Entrée au monastère]

Je n'ai pas choisi l'ordre cistercien par goût. C'est l'ordre sans doute le plus austère qui soit — et le drôle de zèbre que j'étais n'avait, a priori, pas le profil idéal. Non, c'est simplement que le monastère de Port-du-Salut se trouvait à dix kilomètres de Laval !


Je savais que je n'avais pas choisi la facilité, mais une envie indicible me poussait. Je voulais à tout prix effectuer un retour aux sources du monachisme ancien, rencontrer l'idéal de pauvreté et de retrait du monde. Peut-être aussi voulais-je me prouver que j'étais capable de me soumettre à une règle, même si jusqu'à présent tout démontrait le contraire. Peut-être voyais-je comme un défi l'idée de troquer mon insouciance contre le volontarisme. En tout cas, j'étais prêt à tout pour atteindre cet absolu.


Il me fallait pour cela devenir un moine cistercien parfait : un contemplatif et un pénitent capable de mortifier son corps par l'ascèse. Depuis mes années de collège, j'avais refusé la richesse et ses signes extérieurs. Je devais maintenant apprendre à vivre sans parler, sans le plaisir de goûter un bon repas, et m'initier au travail manuel. J'attendais des vertus pratiquées qu'elles m'aident à atteindre la pureté, qu'elles soient pour mon âme, libérée des exigences du corps, un moyen de m'abandonner à Dieu. J'étais prêt pour mon voyage vers la spiritualité.


À dix-huit ans et en pleine guerre, j'entrai au monastère. Mon premier jour fut aussi ma première épreuve. On m'attribua une chambre à l'hôtellerie. Je rangeai mes quelques affaires et décidai de faire un peu de toilette. Quand je voulus me servir du broc, je compris, à l'odeur et à la couleur de l'eau, que mon prédécesseur ne faisait pas de manières. Il avait tout simplement pissé dedans ! Je surmontai mon dégoût et y plongeai mes mains. Je considérai cela comme une épreuve que l'on m'infligeait. C'est à partir de ce moment-là que je décidai d'accepter tout ce qui m'arriverait.


Mes compagnons de route étaient des collégiens et des lycéens. Aucun ne resta au monastère. Le confort était plus que spartiate, la nourriture frugale, l'hygiène médiévale. Nous gardions notre robe pour dormir. Dans notre solitude, les puces nous tenaient compagnie. Les rites nous accompagnaient tout au long de la journée. Dès 6 heures du matin, nous avions droit à la messe privée. À 10 heures, une autre messe, puis la messe matinale que l'on servait dans des chapelles différentes. Et puis l'office ordinaire du jour, l'office de la Sainte-Vierge, l'office des morts lorsque par hasard il y avait un moment de creux. Et cela tous les jours ! C'était relativement encombrant.


L'interdiction de parler faisait partie du jeu. De temps en temps, on avait cependant le droit d'enfreindre la règle, toujours après l'avoir demandé, afin de s'entretenir avec le supérieur, le maître des novices ou notre confesseur. Entre novices, le silence était obligatoire, de même qu'entre moines. Outre les offices religieux, un certain nombre de cours étaient au programme. Tous les matins, nous avions droit aux homélies du supérieur. Beaucoup de moines, surtout parmi les plus âgés, en profitaient pour terminer leur nuit. Le supérieur, qui avait un certain sens de l'humour, commençait parfois ses phrases par "Hitler a dit...", ce qui avait pour effet de les réveiller en sursaut. Je n'avais quant à moi pas besoin de me faire secouer. Ces discours me passionnaient.


Après les deux années de noviciat et la profession temporaire, d'autres matières se succédaient : philosophie, théodicée, théologie, le tout pendant quatre ans. Entre ces deux périodes, j'eus droit à une récréation. C'était toujours la guerre et j'étais appelé au service militaire. Je me retrouvai donc un beau jour à la caserne, en compagnie d'étudiants, de moines et de séminaristes. Je ne restai là que quelques heures : aucune structure ne pouvant nous accueillir, on nous renvoya illico chez nous, en attendant que nous soyons rappelés individuellement.


L'appel sous les drapeaux m'avait automatiquement relevé de mes vœux temporaires. C'était la loi. L'apprenti moine était de retour chez sa mère ! À l'époque, lorsqu'un conscrit revenait dans sa famille, la tradition voulait que les parents, amis et voisins lui fassent des dons, sous forme de cadeaux ou d'espèces sonnantes et trébuchantes. Je me retrouvai donc, bien malgré moi, les poches plus remplies qu'elles ne l'avaient jamais été. Je tournai en rond à la maison pendant huit jours, et décidai de réaliser un rêve qui me hantait depuis toujours : découvrir le Sahara.


© Frère Antoine, « Le Paradis, c’est ici ! »

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