samedi 14 février 2009

Être ou ne pas être... moine

J'ai à mon actif neuf années de noviciat. Cinq canoniques, avec examens à la clé, les autres par morceaux, au fil de mes changements de monastères. Au total, une dizaine d'années de vie monastique, hachurées par des entrées et des sorties – le bégaiement n'est pas un obstacle à la vie spirituelle et monastique.


J'ai vécu cette période de manière parfois pointilliste, à travers différentes communautés. Reste à ajouter à cela trois ans de mieux dans la vie monastique. Parcours un peu hors norme, sans doute, mais qui ne m'a pas empêché de me considérer et d'être considéré par tous comme un moine parmi d'autres. Si on prend le dictionnaire, "moine" veut dire "solitaire", du latin monachus, et du grec monos.


Trois définitions s'y rapportent : membre d'un ordre religieux masculin à vœux solennels, un moine est aussi une bouillotte, et un phoque à ventre blanc. Avec la malice qui me caractérise, je souris aux deux dernières définitions. Mais, disons-le tout net, je ne me sens concerné que par la première - en prenant toutefois soin de lui ajouter un bémol. Je considère en effet qu'il y a "Moine" et "moine", la majuscule prenant bien entendu le pas sur la minuscule.


Le Moine est un homme qui, un beau jour, découvre l'Essentiel de l'existence, et qui n'a nul besoin d'entrer dans un monastère dans lequel il rencontrerait une multitude de moines. C'est un individu qui sait pourquoi il est sur Terre. Bouddha en est un bon exemple. Qu'a fait Bouddha ? Un jour, il s'est assis sur le monde des apparences, et il a pris un bain de Ciel. Le bain de Ciel, c'est la fin des soucis. C'est reconnaître l'existence du monde superficiel, et le mettre au service du monde spirituel. Quand on a compris ça, c'est tout naturellement que l'on se dirige vers une vie de détachement, de joie intérieure. Les problèmes, les ennuis, les mille et un tracas quotidiens n'existent plus. Le Moine ne se reconnaît pas à ce qu'il fait, mais à ce qu'il est. Le comportement qu'il adopte, la sérénité qu'il affiche quand il est confronté à une difficulté quelconque en sont les signes distinctifs. Un tel homme n'est jamais dépassé par les événements. Dans la prière et la méditation, il trouve toujours une solution à son problème.


On associe toujours les mots "prière" et "méditation" à un concept religieux. C'est un tort. Il y a des gens qui mettent ces techniques en pratique sans se référer à une religion. Certains partent même en courant si on a le malheur de leur parler de Dieu. Pourtant, ceux-là mêmes peuvent être emplis de Dieu. Ils sont comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Celui qui prend bien toutes les choses de la vie, celui qui ne se met jamais en colère, celui-là peut être classé parmi les Moines. À l'inverse, il faut savoir que les monastères sont pleins de moines qui râlent toute la sainte journée !


Pour se distraire, beaucoup lisent, d'autres font de la peinture ou de la sculpture. Il y a même de véritables artistes. J'ai connu un moine qui avait, en son temps, décoré le paquebot "Liberté", un autre dont les tapisseries étaient de véritables chefs-d'œuvre. Nombreux sont aussi ceux qui se laissent totalement absorber par le chant grégorien. Par sa profondeur, par l'intensité qu'il dégage, le chant grégorien peut être un remède aux turbulences de la pensée. Irais-je jusqu'à dire que beaucoup de moines, s'ils n'étaient pas dans un monastère, seraient en hôpital psychiatrique, ou tout au moins s'allongeraient-ils régulièrement sur un divan ?Je n'oblige personne à partager cette réflexion malveillante, mais je reste persuadé que le chant grégorien fait des miracles chez certains - sans compter qu'il ne coûte pas cher à la Sécurité sociale.


© Frère Antoine, « Le Paradis, c’est ici ! »

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