vendredi 13 février 2009

Du Port-du-Salut à la grotte

Le 16 mars 1966 fut le jour de mon départ de la vie cénobitique pour l’érémitique. Pour descendre dans le midi de la France, le père abbé de Port-du-Salut me trouva une occasion gratuite. Un camion de « Pain d’antan ». Le saint homme qui dirigeait la fabrication de ce bon pain complet, celui des ermites d’autrefois, avait eu, dit-on, ses fours « physiqués », c’est-à-dire, en Bretagne, qu’on lui avait jeté un sort et le pain avait été mystérieusement maudit. C’était le fabricant qui était dans le pétrin !... Il avait eu recours à l’exorcisme du père abbé, ça avait réussi et une amitié était née entre le monastère et le pain d’antan. Le routier prit soin de son moine, et, tout au long du trajet nocturne, il s’arrêtait dans les restaurants routiers desservis, comme on le sait, par des dames qui, si elles sont les bêtes noires du clergé, ont toujours été en très bon terme avec le monde monastique, et spécialement érémitique. Un ermite n’en avait-il pas expédié une célèbre en direct au paradis, sans confession, ni messe de requiem ? En passant au carmel de Moulins, je fis une étape pour embrasser ma nièce, sœur Monique, qui m’avait fabriqué avec ses sœurs une robe de haute couture en prenant pour patrons les estampes anciennes et peintures du moyen-âge. Elle était faite de toile de jute, sac à pommes de terre. Elles –les sœurs– me passèrent la fine tondeuse sur le crâne, ce qui me le rendit digne d’une chimio, et c’est là-dessus que les dames susdites des restaurants routiers prenaient plaisir à poser un bisou en échange sans doute d’une bénédiction. Le camion n’allait pas plus loin que Lyon. Ensuite, je fis du stop. Un notaire de Lyon, qui roulait dans une luxueuse voiture qui avait été avant celle d’Eisenhower, me conduisit à mon terminus, Sanary, où je devais me rendre à la villa de M. Chaveau. Il était heureux de revoir son moine-clochard, ainsi qu’il m’appelait. Le lendemain, une marseillaise, dite Gounouche pour les intimes, arriva pour me monter à la grotte. Cette dame, je ne l’avais jamais vue, mais j’étais en correspondance avec elle depuis qu’elle avait accidentellement perdu son fils et son mari ; elle avait vécu un calvaire que j’avais sculpté et qui l’avait aidée iconographiquement à trouver l’attitude juste pour surmonter ou plutôt s’abandonner à Dieu qui l’attirait à Lui par ces épreuves.


Impossible de trouver la grotte du rocher de Roquebrune. Une route et des propriétés privées en avaient amélioré les abords. Il fallut recourir au couvent voisin. Cette dame Gounouche était l’ange chargé de mon installation qui serait vite devenu un embourgeoisement. Elle venait au début tous les mois. Six mois passèrent dans ma solitude bien-aimée. Gounouche arriva avec une paire de chaussures en disant : « Essayez-la pour voir si elle vous ira pour partir... Partir où ? Mais en Inde !... Quoi ? en Inde ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? Vous n’êtes donc pas qu courant ? M. Chaveau a formé le projet de vous envoyer en Inde. Il pense que ça vous fera du bien, ainsi qu’à beaucoup d’autres, un séjour dans les ashrams de là-bas.»


La surprise était géante. Je crus entendre mon ego se retourner dans sa tombe. J’essayai dans une lettre au père abbé de détourner de dessus mon front un pareil bisou-cadeau-céleste en faveur d’un autre moine. Ce n’était pas possible. Il fallut sauter dans le Boeing. C’était le 24 août 1967, jour anniversaire de la naissance de sœur Marie-Hélène-de-la-Croix, ma sœur carmélite qui m’avait dit avant de mourir : « Tu verras, après ma mort, il se passera quelque chose de beau pour toi.»


© Frère Antoine, « Une Bouffée d’ermite ».

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