vendredi 13 février 2009

AVANT-PROPOS

Je m'appelle Louis Chauvel. Mais pour ceux qui me connaissent, je suis depuis longtemps Frère Antoine, le frère chanteur. J'ai écrit mon premier poème vers treize ou quatorze ans. J'étais en classe de troisième. Mes chansons ne sont venues que bien plus tard, lorsque je me suis mis à jouer du bulbultara. Je revenais d'Inde. C'était en 1970. Quelques jours auparavant, j'étais dans une gare, attendant le train. À côté de moi, un petit garçon jouait d'un instrument curieux. Un long morceau de bois sur lequel on avait ajouté... des touches de machine à écrire. C'était la reconstitution d'un véritable instrument de musique, je l'apprendrais plus tard.


Où pouvait-on donc trouver cette chose étrange ? Pas bien loin. À douze kilomètres de là, à Lahore, je suis tombé sur un fabricant de bulbultaras. De bulbul, que l'on retrouve en sanscrit, en persan, en libanais, en arabe ― et dans les dictionnaires ornithologiques français, à l'entrée... "rossignol"―.


Heureux comme un pape, je suis revenu en France, mon bulbultara sous le bras. Je vivais alors dans ma grotte de Roquebrune. Propriétaire d'un tel instrument, comment ne pas s'y mettre ? Je ne connaissais rien à la musique. Au collège, je n'avais été brillant en rien, et particulièrement nul en musique. Ce sont l'envie et la persévérance qui m'ont guidé. Je n'ai pas gardé très longtemps ce bulbultara "made in India". Un jour, ou plutôt une nuit, des loubards sont venus me rendre visite, et l'ont emporté.


J'ai aussitôt décidé d'en fabriquer un autre. Les outils, je les avais, puisqu'à l'époque j'étais sculpteur. Restait à faire confiance à la mémoire. Avouons-le, ce premier bulbultara produit de mes mains n'était pas très réussi. J'en fis un deuxième, un troisième, un quatrième, et enfin un cinquième, celui-là même qui m'accompagne toujours.


Je n'ai rien à vendre, ni personne à acheter. Je ne suis pas maître d'école, et encore moins curé. Juste quelqu'un qui a essayé toute sa vie d'approcher de la sagesse, de l'essentiel, et qui tente de les faire partager. Pour cela, nul besoin d'assertions, ni de discours ennuyeux et péremptoires. Au grand dam des gens qui se prennent au sérieux, je préfère les ritournelles. Oui, pour tenter d'apporter une réponse aux problèmes que l'on veut bien me confier, je m'adonne à la rime. Et j'aime ça !


Mes chansons naissent toujours d'un événement vécu, et c'est sous un angle pédagogique qu'il faut les entendre. Si de surcroît elles prêtent à sourire, tant mieux ! Un brin de moquerie, une pincée de causticité, un zeste d'irrespect ; j'utilise toujours l'humour pour lier la sauce. Et quand le plat est prêt, je le sers avec bonne humeur. Sur un mode léger, mes chansons aident, je l'espère, les gens à réfléchir. Elles ne sont pourtant pas toujours au goût de tous. Il est même arrivé que certains quittent la salle dans laquelle je me produisais. Des cathos sans doute bien-pensants, des gens aux oreilles en tout cas trop fragiles et à l'esprit trop étroit.


Il y a quelques années, j'étais reçu en Inde dans une communauté de religieuses catholiques. Au côté de l'évêque qui m'avait invité, je répondis à leurs questions. Au fur et à mesure que je parlais, je voyais l'homme d'église se couvrir d'urticaire... tandis que les religieuses me souriaient malicieusement. C'était l'archevêque de Nagpur qui m'avait envoyé à cet évêque. À mon retour, lorsque je lui racontai comment cela avait fini, il me glissa : "Oh, vous savez, cet évêque est un tout petit bonhomme..."


Mes chansons, comme mes écrits, donnent de l'urticaire à ceux qui sont plein d'eux-mêmes ; elles élargissent le sourire de ceux qui méditent assis sur leur ego.


© Frère Antoine, « Le Paradis, c’est ici ! »

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