mardi 24 février 2009

MOINE OU VOYOU ? [Enfance, II]

J'étais depuis toujours le contraire d'un enfant modèle. Espiègle, turbulent, facétieux, je pouvais aussi mentir et chaparder quand l'envie m'en prenait. En gros, j'étais une petite canaille tourbillonnant au milieu de sœurs sages comme des images. Je passais une grande partie de mon temps à fouiner dans les poubelles, à courser les cochons, à effrayer les poules ou les oies.


J'avais pourtant devant les yeux mon frère aîné, exemple vivant de ce que j'aurais dû être : sérieux, courageux, dur envers lui-même, mais, malheureusement pour moi, dur aussi avec les autres. Nous avions quinze ans d'écart. À vingt-trois ans, il dirigeait la ferme et la famille. La pension mit donc de la distance entre la tribu et moi. Je n'avais d'ailleurs pas eu mon mot à dire : entre prêtre et voyou, ma mère avait coché la case "prêtre" et m'avait inscrit au petit séminaire.


Je ne me souviens pas, du reste, m'être posé de grandes questions sur mon devenir. L'époque voulait qu'un fils prêtre soit un signe de prestige dans une famille. Le militaire était lui aussi assez prisé. Si nous avions été trois garçons, j'aurais peut-être fini colonel, qui sait ? Cette pensée est à vrai dire totalement absurde, étant donné mon peu d'enthousiasme pour la hiérarchie.


J'acceptai donc sans rechigner la volonté de ma mère, d'autant qu'un beau matin, alors que j'avais encore fait des miennes, maman me dit : — Nous allons chez le cordonnier ; il te faut de nouveaux brodequins, car, à partir de demain, tu travailleras aux champs. J'ai cru que le ciel me tombait sur la tête. Tout plutôt que travailler à la ferme ! La terre me rebutait, les animaux me dégoûtaient, je refusais du plus profond de moi ce travail salissant. C'est donc dans cette disposition d'esprit que j'entrais au collège de l'Immaculée Conception à Laval.


La classe de sixième me mit d'office dans le bain où j'allais patauger quelques années. Nous avions comme professeur un prêtre du diocèse nommé Saquet. Il portait extrêmement bien son nom, puisque son plus grand plaisir était de nous saquer. Je pense même qu'il était carrément sadique. Le visage revêche, les cheveux en brosse, il tenait plus du gardien de prison que de l'écclésiastique. Pour nous réprimander, il avait inventé un jeu : il passait derrière nous, attrapait nos porte-plume et les plantait dans notre cuir chevelu. Puis il passait, repassait, et à chaque fois les faisait osciller en leur donnant une chiquenaude. Persuadé à juste titre qu'aucun des élèves n'oserait se plaindre, ce prêtre déjanté jouissait tranquillement de son pauvre petit pouvoir. Je me suis dit plus tard que ces coups de plume sur ma tête devaient être prophétiques : ils annonçaient les prises de bec que j'aurais au long de ma vie avec le clergé fonctionnaire dont j'ai tant de fois dénoncé l'abus de pouvoir, et surtout le manque d'essentiel spirituel.


Je ne pouvais évidemment pas me rendre compte de quoi j'avais l'air avec mon porte-plume sur la tête, mais je voyais parfaitement celui de mon voisin oscillant sur la sienne comme un métronome. Ce fut sans doute le moyen que Dieu employa pour lui faire entrer la musique dans la tête... Car ce joli blond aux cheveux bouclés, René Batard, a été pendant trente ans l'administrateur des formations musicales, orchestre et chœur, à l'ORTF puis à Radio France... Transposer le négatif en positif est le travail de tout bon photographe — et devrait l'être de quiconque est bien éduqué spirituellement.


J'étais un élève médiocre, souvent même le dernier de la classe. En quatrième, j'offris un véritable feu d'artifice en écrivant un poème en hommage à mon village natal. Les professeurs, sidérés qu'une nullité comme moi ait pu accoucher d'un tel texte, l'envoyèrent au curé, fort surpris lui aussi. Peut-être même en trouverait-on encore trace dans les archives de la paroisse !... Fort de mon exploit, je voulus réitérer et composai "La Marseillaise des pions", qui visait directement un surveillant qui portait une jambe de bois, et un autre doté d'un pied bot. Je me souviens du refrain qui disait :


Aux armes, tous les pions

Armons-nous d'un crayon

Marquons, marquons

Et rossons dur

Tous ceux que nous pincerons !


Bien entendu, cela ne fit rire personne, mis à part mes copains. Je fus menacé d'exclusion et récoltai un zéro. D'un côté, j'en étais fier, car j'avais appris que les élèves de première l'avaient recopiée et se la repassaient. Je me voyais déjà figurer dans leurs cahiers, entre Victor Hugo et Lamartine. Mais, en même temps, la peur d'être renvoyé me tenaillait. Aussi, j'allai me confesser à un prof pince-sans-rire, le père Pouteau, et l'on passa l'éponge.


© Frère Antoine, « Le Paradis, c’est ici ! »

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